samedi 11 juin 2016

En guise de conclusion


Après dix derniers jours passés au monastère de Kopan, sur les hauteurs de Katmandou, une année est déjà passée,... depuis l'arrivée à Anchorage, le 16 juin 2015.

Monastère de Kopan, 1er juin 2016

J'aurai donc passé :

  - 2,5 mois en Alaska
  - 2 mois en Inde
  - 6,5 mois au Népal
  - 3 semaines au Tibet

Un découpage en deux régions, très éloignées sur la planète, mais nécessaire puisque je tenais à passer l'été dans l'arctique puis à rester dans une seule région le reste de l'année.

Alors que retenir de cette année ?



Le Népal, de bas en haut


Les sept mois au Népal auront été le coeur de cette année. Presque sept mois dans un pays évidemment magnifique, visité des plaines jusqu'à pas loin des sommets (il aura manqué un sommet...).

Ces sept mois auront été rythmés par cinq longues randonnées d'altitude (Kanchenjunga, Everest, Annapurna, Dhaulagiri, Gosaikunda), moments qui resteront comme les plus classiques de l'année, mais traversés avec ô combien de plaisir. Les paysages qu'on y découvre sont parmi les plus beaux que la montagne puisse offrir.

Mont Everest, 15 novembre 2015.

Le tour à vélo du mois de mars aura été l'occasion de découvrir la vallée de Katmandou et les chaudes plaines du Teraï.

Si pendant ces presque sept mois au Népal, j'ai marché inlassablement au milieu de ces montagnes immenses, j'y aurai aussi découvert les fantastiques "collines" et ses habitants sur la bande centrale du pays : la perle népalaise aura bel et bien été, étonnamment loin de la haute montagne, la randonnée des villages du Far-West de Jumla à Darchula ; j'y reviens plus loin.
Enfin, lors des dernières semaines, au monastère de Kopan, j'aurai appris quelques bases de la principale religion himalayenne, le bouddhisme.


L'Himalaya, du nord au sud


Le choix de rester de rester neuf mois dans une zone relativement peu étendue a été très important. Certes, je n'ai pas visité "toute" l'Asie comme certains le font et les paysages et cultures traversés auront pu se ressembler par moments. Mais grâce à ce temps long, j'ai pu en avoir une vision peut être plus approfondie, sur l'ensemble d'une saison (hors saison des pluies, l'été).

Avant cette année, je connaissais uniquement les arides plateaux Ladakhis, au Cachemire. Quel choc cela a été de découvrir en octobre les verdoyantes vallées népalaises surplombées de glaciers gigantesques, qui tranchent tellement avec le paysage du Cachemire !

Puis, au coeur de l'hiver, c'est l'Himalaya de l'extrême nord-est indien que je découvre (entre Bhoutan et Birmanie). J'y trouve des paysages moins exceptionnels qu'au Népal ou au Cachemire, mais le voyage en valut néanmoins largement la peine. La vallée du gigantesque fleuve Brahmapoutre est notamment d'une furieuse beauté et restera la grande découverte de mon passage dans cette région. Ces presque deux mois dans ces contrés, que j'avais qualifiés de bancals dans mon article, resteront un temps fort de l'année car, même si je n'y ai pas pu faire tout ce que je voulais (même ici l'hiver est un peu froid...), l'endroit était original et fort loin des sentiers battus : j'y ai rencontré des gens fabuleux et beaucoup appris.

Il reste finalement une zone que je n'ai pas explorée en Himalaya : l'Asie Centrale (Pakistan, Afghanistan, Tajikistan, Kyrgystan), au nord-ouest du massif, qui se visite, tout comme le Cachemire indien, en été. L'objet d'un prochain voyage.


Alaska vs. Himalaya


J'aurai visité deux grands massifs, extrêmement différents : l'Himalaya, peuplé, sublime, ensoleillé, touristique dans sa partie népalaise, et les montagnes alaskiennes, sauvages (à l'extrême), libres.

A l'exception du Ladakh (et sans doute des régions d'Asie Centrale non encore visitées), la haute montagne himalayenne est quasiment entièrement réglementée. Dans la plupart des massifs, que ce soit pour randonner ou pour faire de l'alpinisme, un permis et un guide sont obligatoires. Là où il n'en faut pas (c'est-à-dire des miettes), les régions sont très touristiques : Everest, Annapurna, Langtang.
Même si ça n'enlève rien à leur beauté objective, cela nous donne des itinéraires clé en mains, assez peu intéressants sur un plan personnel, desquels il est extrêmement difficile de s'écarter.
On arrive par exemple à des situations absurdes du type de celle rencontrée au village de Kagbeni, qui est à l'intersection de quatre vallées :
  - Vallée de l'Annapurna : nécessite un permis, pas de guide requis.
  - Vallée du Haut Mustang : nécessite un guide et un permis de 500$ pour 10 jours (à organiser avec une agence, à l'avance, à Katmandou)
  - Vallée du Haut Dolpo : nécessite un guide et un permis de 500$ pour 10 jours (à organiser avec une agence, à l'avance, à Katmandou).
  - Vallée du Dhaulagiri : libre.
Il en est de même pour les sommets, même mineurs, qui ont chacun une sorte "d'étiquette", avec leur règlementation.
Tout est de plus assez surveillé.

L'Alaska, évidemment, est tout l'inverse. La liberté y est totale. Il n'y a quasiment aucun itinéraire prédéfini ou connu, tout n'est que choix personnel. L'espace s'offre à nous dans toute sa pureté.

Ce sont les raisons pour lesquelles je retournerai toute ma vie en Arctique, parce que les projets y engendrent naturellement les projets, de nouvelles explorations, mais pas forcément au Népal, où j'ai l'impression, même si j'y ai passé de très bons mois, qu'il n'y a plus d'exploration vraiment intéressante et personnelle à y faire... en toute liberté. Et c'est fort triste. Eventuellement y gravir dans quelques années un sommet secondaire bien choisi.

J'ai l'habitude d'être critique sur nos modes de vie occidentaux mais s'il y a bien une chose que nous faisons correctement, c'est de garantir une grande liberté d'accès à notre nature (pas forcément protéger correctement cette nature mais au moins y offrir un accès parfaitement libre).
L'approche himalayenne de la haute montagne est particulièrement néfaste : elle monétise l'espace et empêche la liberté humaine de s'exprimer. Et il sera maintenant très difficile de revenir en arrière.

Tâche donc à nous, occidentaux, de savoir protéger nos montagnes de ce fléau, dans nos Alpes d'Europe occidentale et dans nos régions arctiques : en Alaska, au Yukon, au Groenland, en Scandinavie.
Car dans un monde où le lobby économique est énorme et où le principe de précaution devient prépondérant, la partie n'est, à long terme, pas gagnée d'avance.


Mont Denali, Alaska, 4 juillet 2015.


Une année Sabbatique, juste ça, en soit.


Il y eut donc tout cela. Tous ces projets, toutes ces promenades. Que j'aurais pu faire presque indépendamment sur de "petites" vacances. Mais il y eut aussi et surtout, en soit, une année de voyage. Une année où le quotidien est liberté. Une année où on a du temps pour soi, pour discuter, explorer, où l'on rencontre des gens qui vivent autrement et ont des idées formidables, locaux comme touristes. Une année où l'on prend le temps de s'inspirer.
Ce qui rend tous ces projets, toutes ces promenades très différents.

Qu'une telle année soit un tour du monde, ou assez sédentaire comme la mienne, qu'elle soit préparée ou bien totalement "à l'arrache", spirituelle ou non, qu'il y ait un grand et unique projet derrière ou juste de la flânerie, qu'elle se passe dans des villes ou à la montagne, bref quoique puisse être un tel voyage, il ne pourra être qu'enrichissant et réussi.

Pour tous ceux qui en rêvent, le pas est (très) simple à franchir, et quoiqu'il s'y passe, cette année-là restera exceptionnelle.


Quelques ratés


Il y eut l'expédition dans les fjords du Kenai avec Camille, en tout début d'année, la faute à la pluie, la chute au Ladadkh, la faute à moi... Et bien sûr l'expédition au Shishapangma, la faute à un peu tout, mais surtout à pas de chance.

Mais ces ratés sont la condition nécessaire pour tenter (et parfois réussir) par ailleurs de beaux projets. Ils font, dans une certaine limite, partie du jeu.


Kenai Fjords National Park, 27 juin 2015.

Col du Kang La, 19 septembre 2015.

Camp de base du Shishapangma, 6 mai 2016.


Des gens


Des gens qui m'ont rejoint :
  - Camille pour un superbe plan B au Denali, en Alaska.
  - Mathilde, deux fois, pour admirer avec moi les plus grandioses paysages de l'année, autour de l'Everest, puis pour un grand tour de vélo dans les collines népalaises.
  - Charlotte, à qui j'avais promis le beau temps permanent... Mais on s'en est sorti quand même !
  - Claude, Fred, François et Gaël pour une ballade écourtée un peu (à peine) au-dessus du camp de base du Shishapangma.
  - Victoire, pour deux petites journées à Katmandou !

Sans me rejoindre, mais quelle importance vous avez eu cette année :
  - Vincent, pour ton soutien à Lyon et pour la superbe météo alaskienne que tu m'as apportée l'été dernier !
  - Mathilde encore, parce que j'étais un peu loin, pour la chute de septembre, pour être venu deux fois, pour tout ce que tu as tellement bien fait pour la préparation du Shisha...
  - Mes parents, pour tout ce que vous avez fait : administratif, courrier, fuite d'eau, réception et nettoyage de mes canoës, secours, préparation parfaite du sac du Shisha, votre soutien permanent, j'en oublie sûrement... Merci !!

Des gens sur place, avec qui on a ri, discuté, changé le monde et qui m'auront énormément appris. Notamment :
Sven, Mario qui descendait le Yukon en radeau avec son frère, tous les aventuriers de Sven's Base Camp à Fairbanks, Judy à Bettles, Francesco et Helena dans les Brooks Range, Jonathan et sa famille à Allakaket, Willem à Old Harbour, Marco et Candy au Ladakh, Suresh mon génial guide du Kanchenjunga, Denis sur les chemins du Kanchenjunga, Christophe à Katmandou, Sébastien au Khumbu, Stéphane et Charline au Khumbu et sur les Annapurna, les ingénieurs de Martadi, tous les villageois de l'ouest népalais rencontrés, Niroz, Mon, Nicolas, Bryan et Michael à Bardya, Dawa et Siria à Tawang, Magali et Ana sur l'île Majuli, JR à Hetauda, Arjun à Chitwan, Brigitte et Johanna vers Jong, la communauté d'Osho vers Katmandou, la none Karin, Carine La Touffe, Alain, Chloé et Soeur Emmanuella au monastère de Kopan.
Et tous les autres.


Chloé, Carine La Touffe, Thibault, Alain et soeur Emmanuella au monastère de Kopan, 4 juin 2016.


Huit petits moments


Il restera ces petits moments, qui sont aussi grands que les grands et bien plus surprenants. Huit petits lieux, où je serai resté quelques jours. Huit petits lieux parfaits. Mon collier de perles de l'année.

Allakaket, Alaska


Allakaket, 12 août 2015.


Pidmo, Ladakh, Inde

Pidmo, 13 septembre 2015.



Lac Rara, Népal


Lac Rara, 23 décembre 2015.


Plateau de Khaptad, Népal

Plateau de Khaptad, 4 janvier 2016.


Bardya, Népal


Bardya, 14 janvier 2016.


Vallée de Dzukou, Nagaland, Inde


Vallée de Dzukou, 18 février 2016.


Île Majuli, Assam, Inde


Île Majuli, 26 février 2016.


Monastère de Kopan, Katmandou, Népal


Monastère de Kopan, 27 mai 2016.



Deux grands moments


Et puis il y aura eu ces deux grands moments, très préparés ceux-là. Longs. Gratuits. Personnels. Parfaits.

Deux moments presque opposés : le premier passé à traverser des villages au fin fond du Népal, où l'espace naturel est largement formaté par l'homme et dédié aux cultures et aux champs ; le second passé dans le gigantesque espace sauvage du nord de l'Alaska, vierge de toute trace humaine.

Mais deux moments qui se ressemblent car on y évolue dans des espaces en grande santé : par le mode de vie, indépendant, respectueux et durable, pour ces peuples de l'ouest népalais (ce qui ne signifie pas que la vie n'y est pas difficile, ni sans problèmes sociaux, loin de là) ; par la vie même qui y règne, par son étendue et sa sauvagerie pour les montagnes nord-alaskiennes.

Deux moments loin de l'appât du gain et du consumérisme dévastateurs pour notre environnement, qui nous rappellent ce que nous avons peut être perdu et qu'il serait urgent de retrouver.

Deux moments comme une ode à notre planète : à ses habitants et à sa nature.


La traversée des villages népalais, de Jumla à Darchula, pendant trois semaines, au coeur de l'hiver.

Lien vers l'article

Un itinéraire hors du temps dans les plus beaux villages que j'ai jamais visités, souvent à des jours de marche de la première route, au milieu des champs en terrasses et des verdoyantes montagnes népalaises.

Ratapani, 24 décembre 2015.


Dogadi, 1er janvier 2016.

Près de Pipalkot, 6 janvier 2016.



La virée dans les Brooks Range, au nord de l'Alaska, pendant un mois, au coeur de l'été.

Lien vers l'article

Ce mois restera le grand moment de l'année. Tout là-haut, dans mon jardin.
Un mois absolument parfait, en solitaire, à explorer les exceptionnelles montagnes alaskiennes, à pagayer sur l'Alatna, à vivre dans cet immense éco-système où rien n'a changé depuis des milliers d'années, où les ours, les élans et les caribous sont dans leur royaume et où, en été, le jour ne se termine jamais.
L'aventure totale.

Gates of the Arctic National Park, Alaska, 25 juillet 2015.


Gates of the Arctic National Park, Alaska, 28 juillet 2015.

Pour terminer, comme un symbole, cette journée d'août, chaude, ensoleillée, sur un petit sommet au-dessus du lac Takahula. Une journée au beau milieu du plus grand espace sauvage américain. Une journée... comme cette année, empreinte de liberté.


Gates of the Arctic National Park, Alaska, 7 août 2016.

jeudi 19 mai 2016

Gosaikunda : Randonnons sous la mousson

Du 11 mai au 18 mai 2016.

De retour à Katmandou après le fiasco du Shishapangma, il faut bien trouver à occuper le mois de mai.
Je pars donc, de Sundarijal, tout près de Kantmandou, pour une randonnée qui traversera la forêt de Shivapuri, la région de l'Helambu, et s'achèvera dans les montagnes du Langtang.

En ce jour du départ, il pleut.

Village de Shivapuri

A la sortie de la forêt de Shivapuri, j'arrive à Chisapani, dans la région la plus touchée par le séisme de 2015.

Chisapani, très détruite

Village de l'Helambu

J'avais dit mon article A vélo à travers le Népal normal que nous ne nous promenons pas dans des tas de gravas. Je modère quand même mes propos ici : la région au nord de Katmandou est extrêmement abimée...

Je traverse le lendemain la région de l'Helambu, sous un temps un peu plus clair.

Paysage de l'Helambu

Le troisième jour, la montée progressive dans les montagnes du Langtang se passe intégralement dans les nuages. On se console avec les rhododendrons en fleurs.

Rhododendrons en fleurs.

J'arrive finalement aux lacs du Gosaikunda, à 4380m, sous une météo un peu meilleure. J'aurai à cet endroit la possibilité de voir quelques belles vues des hautes montagnes du Langtang environnantes.
Les lieux ressemblent singulièrement à nos Alpes.

Lac du Gosaikunda.

Langtang Lirung, 7227m.

Massif du Langtang

Il est 9h du matin, les derniers espaces de ciel bleu disparaissent déjà.

Les sommets du Ganesh Himal, dans une ultime bande de ciel bleu.


Rien de très exceptionnel pour cette dernière randonné himalayenne, d'autant que s'il ne pleut pas encore vraiment, la mousson approche à grands pas, apportant déjà son lot de nuages et d'humidité.
Mais j'y aurai rencontré quelques personnes forts sympathiques et pour la première fois de l'année, de nombreux randonneurs népalais : la proximité du massif du Langtang avec Katmandou incite les étudiants et la classe moyenne de la capitale à venir découvrir leurs montagnes. C'est, pour la plupart d'entre eux, la première fois qu'ils font une randonnée.

Je rentre à Boudhanath, pour un mois à venir consacré à la méditation et au bouddhisme.
Et le beau temps est revenu...

mercredi 18 mai 2016

L'expédition au Shishapangma : des gros sous, deux morts...

Du 19 avril au 8 mai 2016.


J'avais voulu mes précédents articles plutôt sympathiques, pas vraiment critiques et assez contemplatifs. Celui-ci dérogera nettement à la règle. Bienvenue dans le dessous des cartes du business de l'ascension d'un 8000 en Chine (et ailleurs...).


Le Shishapangma est le plus haut sommet du Tibet. Il se trouve au nord du massif du Langtang, proche de la frontière népalaise et culmine à 8026m. Son ascension devrait nous occuper un mois environ.

Le permis à payer pour un tel sommet coûte 5200$. Au Népal, le permis d'un 8000 est sensiblement moins cher (moins de 2000$, sauf pour l'Everest). A noter que pour ce prix, il n'y a pas de secours par hélicoptère possible... C'est interdit en Chine.
Chaque expédition a besoin d'une agence qui assurera son confort au camp de base (c'est très légitime). Même si le sommet est en Chine, toutes les expéditions passent par le Népal pour le réaliser : les agences sont toutes népalaises. Pour notre "camping" au camp de base, les tentes, la logistique, la nourriture, il nous en coûte 1800$. Ce n'est pas donné mais ça reste dans les limites du raisonnable.

Le chef de notre expédition est Claude Labatut, pyrénéen très expérimenté qui a déjà gravi trois sommets à 8000m (Broad Peak, Cho Oyu, Manaslu). Je rejoins son équipe pour ce Shishapangma. Contrairement à la majorité des autres expéditions, nous projetons de réaliser l'ascension sans porteur d'altitude, sans oxygène et sans guide professionnel.
Avec ces trois aides, une expédition au Shishapangma reviendrait à environ 20 000$. On s'en tient donc pour notre part à 7000$.

Pour l'Everest, avec guide, porteurs et oxygène, il faut compter environ 40 000$.

Nous atterrissons à Lhassa, la capitale du Tibet, le 19 avril. Pour rejoindre le camp de base du Shishapangma, à 650km de là, la CTMA (Chinese & Tibetain Mountaineering Association) nous impose un programme.
Au Tibet, on ne parle pas de liberté de circulation. Dawa, notre guide, nous accueille à l'aéroport pour nous emmener dans notre hôtel ****, imposé et obligatoire : 200$ / nuit. Il y aura 3 nuits au total, imposées à la dernière minute. Pas d'hôtel, pas d'expédition.

A Lhassa, nous visitons le Potala : c'est l'ancienne demeure du Dalaï Lama. Il l'a quittée en 1959 lorsque le Tibet s'est fait envahir par la Chine, pour s'enfuir en Inde.
Ce palais et ancien haut lieu spirituel du bouddhisme renferme de somptueuses sculptures et figures du bouddhisme. S'y trouvent aussi les sépultures des premiers dalaï lamas.
Mais ce n'est plus aujourd'hui qu'une coquille vide où s'entassent tous les jours en file continue des milliers de touristes (chinois pour la plupart). A une époque où le bouddhisme est riche et florissant, ce lieu, qui devrait être son apothéose, n'est plus qu'un parc d'attraction où la spiritualité a totalement disparue.
L'horreur.

Nous visitons l'après-midi le monastère du Jokhang, autre grand monastère de Lhassa, qui a subit le même sort.


Après presque un an à parcourir des régions bouddhistes somptueuses (et libres) au Ladakh, en Arunachal Pradesh ou au Népal, ces visites ultra touristiques et dénuées de sens font bien mal au coeur. Imaginons un Saint-Pierre de Rome d'où le Pape se serait enfui. Un vide culturel et spirituel pour tout un continent.


J'essaie vainement de demander à notre guide son avis sur la question. Il est tibétain. Il me répond qu'il n'a pas le droit d'en parler. Son rôle "officiel" ne consiste en effet qu'à nous emmener au camp de base mais il est très peu motivé. En quatre jours, il ne nous aura même pas demandé nos prénoms. Je n'insiste pas sur mes questions.


Nous passerons ensuite deux jours en voiture, le temps de s'acclimater entre Lhassa, à 3600m, et le pré-camp de base, dit camp de base chinois, à 5100m.

Paysage tibétain menaçant. Comme un présage.

A Tingri, à quelques heures de route du camp de base chinois, nous pouvons voir le Cho Oyu, un des trois sommets de 8000m qui se réalise depuis le Tibet (avec l'Everest et le Shishapangma). On voit très nettement à droite de la photo le Nangpa La, le col qui rejoint le Népal dans la région de l'Everest. Le passage de ce col, comme celui de quasiment tous les autres, est strictement interdit à la circulation.

Le Cho Oyu. A droite, le Nangpa La.

Nous voici enfin arrivés au camp de base chinois. L'endroit est splendide, le paysage comme nul part ailleurs : nous sommes à 5100m d'altitude, sur un plateau plat et aride... Et au fond, surgit comme par magie une grande montagne à plus de 8000m : le Shishapangma.


Le camp de base chinois. Au fond, le Shishapangma.


Nous retrouvons l'équipe népalaise qui gèrera notre camp de base. Il manque un convertisseur : nous ne pouvons pas recharger nos appareils électriques, dont nos téléphones satellites, la base de la sécurité... Durant toute l'expédition (qui sera courte, certes), nous devrons recharger nos appareils chez les expéditions voisines. Globalement, notre agence népalaise aura accompli un travail franchement moyen.

Toute l'équipe : François, Frédéric, Gaël, Claude et moi-même. Au fond, le Shishapangma.


Plateau tibétain


Pour notre acclimatation, nous restons deux jours à ce camp chinois. Nous en profitons pour grimper sur une colline d'où le Shishapangma se dégage superbement.

Le Shishapangma et ses quelques satellites


Claude et François en profitent pour une séance de rasage !

Séance rasage


Il est maintenant temps de partir pour le camp de base, à 5700m : une bonne journée de marche.

Nos affaires seront transportées par yaks jusque là-bas, aux pieds des montagnes. Nous avons 900kg de matériel.
Tout cela paraît bien bucolique mais les histoires de gros sous recommencent. Nous avons une sorte de "forfait" yak mais on nous affirme que les yaks ne peuvent porter que 40kg chacun... Une belle arnaque. Chaque yak au-delà du forfait nous coutera 200$ ! Chaque sac est minutieusement pesé, et après une nouvelle arnaque sur le poids total, tout le monde peut partir. Les yakmans (ou les autorités chinoises...) se seront mis au passage 2000$ dans la poche (c'est-à-dire 200 fois le salaire mensuel moyen népalais)... pour cinq heures de marche. Au bout du compte, on négociera avec l'agence qui nous en paiera la plus large partie. Mais que d'emmerdes... et quelle tristesse.

Les yaks, bien peureux !

Après sept heures de marche (on se trompe un peu de chemin !), nous arrivons au camp de base, à 5700m. Une expédition suisse y est déjà présente et en attendant que nos yaks arrivent et que nos tentes soient installées, nous nous invitons sous leur tente.
Après quelques minutes, ils nous apprennent que deux de leurs équipiers sont morts la veille, dans une chute en crevasse, sous le camp 1, à 6300m. Une cordée de 50m de trois personnes, a cassé un pont de neige, découvrant une crevasse gigantesque et s'est évanouie dans celle-ci. Un accident rarissime car il est extrêmement peu probable qu'une si longue cordée chute toute ensemble dans une crevasse. Un seul des trois équipiers, le guide suisse de l'expédition, a miraculeusement survécu. C'est d'ailleurs lui qui nous narre l'épisode. Il nous dit que le glacier est très dangereux.
Toute l'expédition est extrêmement choquée. Nous aussi.

Aux dires de mes compagnons d'expéditions, les accidents, graves ou mortels, sont monnaie courante sur les hautes expéditions himalayennes. Il y en eu sur presque chacune de leurs expériences passées.

Le camp de base

Le camp de base. Gaël indique le sommet !

Nous n'avons pas mille solutions devant nous : il nous faut aller voir de nous-mêmes en restant très prudents sur le bas du glacier.
Nous joindrons nos efforts avec une expédition suédoise comprenant deux équipiers et deux sherpas (les porteurs d'altitude népalais) afin d'emporter le maximum de cordes à ce niveau et sécuriser le glacier du mieux possible.

Le temps de nous acclimater et de monter tout le matériel et la nourriture, il nous faudra cinq jours pour prendre pied sur le glacier. Nous constituons un camp dépôt au pied de celui-ci.

Sur la route du camp dépôt

Le tri de la nourriture

Vue de l'itinéraire depuis le camp dépôt.

Camp dépôt, au petit matin.

Lors d'une de ces rotations entre camp de base et camp dépôt, nous montons, avec Fred, sur une bute, à 6400m. Nous y avons une vue imprenable sur tout notre itinéraire à venir (ou pas...) et le sommet.

Par ailleurs, tout le monde est en forme, il n'y a pas de problème majeur d'acclimatation, un peu moins d'appétit par moments, ou quelques maux de tête, mais rien de très méchant.

Superbe vue sur le Shishapangma depuis le petit sommet à 6400m.

Le bas du glacier du Shishapangma

Le Shishapangma et son très long glacier.

Un glacier survivant de la sécheresse tibétaine

Avant de remonter prendre pied sur le glacier (ce qui doit être le "vrai" début de l'expédition), nous faisons la traditionnelle puja, la cérémonie bouddhiste qui précède chaque expédition sur un haut sommet. Notre aide cuisinier est moine, c'est lui qui nous offre cette cérémonie.
Il invoque le dieu Shishapangma de nous être favorable. C'est un beau moment.

Puja

Puja sous les flocons

Avec nos camarades suédois, nous partons enfin le lendemain sur le glacier. Les 200 premiers mètres sont sans souci majeur, mais alors que nous arrivons au niveau des cordes fixes de l'expédition suisse, des trous béants commencent à s'ouvrir. Les suédois iront laborieusement un peu plus haut que nous, jusqu'au lieu de l'accident. Crevasse gigantesque, infranchissable. Nous ne sommes qu'à 6300m, même pas au camp 1, et d'après nos sources, la suite de l'itinéraire est plus crevassée encore.
Cet hiver a été particulièrement sec sur les montagnes tibétaines (et himalayennes en général) et le glacier n'est pas du tout en condition ce printemps : il y a bien trop peu de neige.
Le Shishapangma est une montagne assez peu gravie mais nous n'avions jamais eu un retour si catastrophique de précédentes expéditions. Est-ce donc une anomalie cette année ou un nouvel état qui perdurera dans les années à venir ?

Clap de fin pour tout le monde. On n'a pas encore commencé que c'est déjà fini.

Une expédition australienne arrivée une semaine après nous aura à peu près la même stratégie : aller voir, constater,... puis renoncer.

Pour notre part, on démonte tout, on jette la moitié de notre nourriture, on donne l'autre moitié aux chinois. Beau gâchis.

Et on redescend.

Au-delà de toutes les critiques que j'ai pu formuler plus haut sur les coulisses de l'expédition, cela reste une grande déception. La préparation avait été intense et prenante, Claude, en expérimenté chef d'expédition, s'étant chargé (et bien chargé) de la majorité de la logistique, de la nourriture...
L'ambiance entre nous était bonne, nous étions tous bien en forme et les camps d'altitude promettaient de beaux moments. Quand à l'ascension finale, ce doit sûrement être une expérience exceptionnelle. Cela aurait été un grand moment. Mais notre choix fut le bon, il n'y a rien à regretter.

Gâchis total.

Fred, mon très sympathique camarade de tente... et d'hôtel ****

Notre cuisinier, Tilé, et l'officier de liaison, un chinois sympathique

Patrick Mattioli, Jon David Johnson, décédés le 24 avril 2016 sur le Shishapangma.

Le yak nous tire la langue. Il a bien raison.

Il a bien raison parce que cette expédition n'aura rien eu à voir avec la beauté de mes précédentes expériences, au Groenland, au Spitzberg, en Alaska, pour lesquelles le plaisir était omniprésent, depuis l'organisation, sans agence, simple, drôle, déjà pleine de découvertes, jusqu'à l'expédition en elle-même, nature, sans gros sous et sans ce danger omniprésent qui rôde.

J'en reparlerai dans un prochain article mais je pense qu'il y a, en Himalaya, un véritable problème avec les permis et le lobby des agences qui nuit très gravement à l'aventure... et à la liberté.

La vraie aventure a un prix, et ce prix, c'est la gratuité et la simplicité.
La messe est dite, plus jamais ça.

Des gros sous

...